Le groupe Avril, présidé par le patron de laFNSEA, s’enrichit sur le dos de l’État


L’entreprise d’Arnaud Rousseau est devenue leader sur le marché des « biocarburants ». Son
or jaune, c’est le colza. La société a prospéré grâce à une réglementation sur mesure et à un
important rabais fiscal.

Arnaud Rousseau ne dirige pas seulement la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), il est aussi le patron d’un mastodonte de l’industrie agroalimentaire, le groupe Avril, géant français des huiles et protéines végétales. Opérant dans 19 pays, ce groupe, peu connu du grand public, pèse tout de même 9 milliards d’euros en chiffre d’affaires en 2022, compte 7 300 salariés, et a réalisé 218 millions d’euros de profit la même année, un résultat net en hausse de 45 % !


Le 30 mars 2022, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, la
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) organise un « grand
oral » des candidats à la fonction suprême à l’occasion de son congrès annuel qui se tient à
Angers (Maine-et-Loire). Emmanuel Macron intervient, en vidéo, depuis son QG de
campagne. Et il fait cette promesse : « Je voulais ici vous le dire très clairement. Le Crit’Air 1
sera attribué aux véhicules qui roulent en permanence au B100. C’était, je le sais, attendu. »


Le B100 ? C’est un carburant fait d’huile de colza. Les poids lourds roulant exclusivement
avec ce produit vont donc obtenir la vignette qui autorise à circuler dans les « zones à faibles
émissions » (ZFE) mises en place dans les grandes agglomérations pour limiter la pollution
locale. Deux semaines plus tard, le 16 avril, l’arrêté paraît au Journal officiel. On est entre les
deux tours de la présidentielle, il n’y a eu aucune consultation publique.
La décision ne tombe pas du ciel. Elle est particulièrement favorable à une société étroitement
liée à la FNSEA : Avril, quatrième groupe agroalimentaire français, qui a lancé trois ans et
demi plus tôt l’Oleo100, un carburant B100. De la graine de colza qu’il achète auprès des
coopératives de producteurs comme sur les marchés mondiaux, et qu’il fait passer dans ses
usines de trituration, le groupe Avril tire à la fois un produit sec – ce qu’on appelle les
tourteaux, destinés à l’alimentation animale – et une huile végétale. C’est cette huile qui fait
tourner des moteurs Diesel.

Arnaud Rousseau, président du groupe Avril lors de la présentation de Oleo100, une énergie
végétale issue de l’agriculture française en 2018. © Photo Romuald Meigneux / Sipa


L’entreprise est présidée par Arnaud Rousseau, alors premier vice-président de la FNSEA et
dans les starting-blocks pour succéder à sa présidente, Christiane Lambert – il prendra la tête
du syndicat un an plus tard. L’attribution de la vignette vient compléter un arsenal
règlementaire qui contribue directement aux bénéfices mirobolants du groupe : grâce à un
important rabais fiscal et à la vente, en plus de son propre carburant, de « certificats » censés
aider à la décarbonation des transports, le groupe Avril, via sa filiale Saipol, dégage des
dizaines de millions d’euros de bénéfices sur un produit à la rentabilité hors normes. Loin, très
loin, de ce que touchent réellement agricultrices et agriculteurs. Et sans que l’écologie y
gagne.

Un « biocarburant » polluant
L’an dernier, le député (MoDem) Mohamed Laqhila posait une question similaire à
l’Assemblée nationale, s’interrogeant sur la différence de « traitement » entre le B100 et le
HVO, alors même que ce dernier « est homologué dans de nombreux pays européens depuis
plusieurs années ».Le HVO est un autre carburant alternatif qui peut être composé, celui-là, à partir d’huiles usagées, de graisses animales et de déchets. Autrement dit, sans recourir aux terres agricoles.
Mais les véhicules roulant au HVO, eux, ne sont pas autorisés dans les centres-villes classés
ZFE.


Le jour même de l’intervention d’Emmanuel Macron au congrès de la FNSEA, Arnaud
Rousseau se réjouit de la nouvelle dans un communiqué de la FOP (Fédération française des
producteurs d’oléagineux et de protéagineux)
, qu’il préside également à ce moment-là :
« L’ensemble des acteurs de la filière française des huiles et protéines végétales se félicite de
l’obtention de la vignette Crit’Air 1 pour le B100, carburant 100 % végétal », écrit-il.
La mesure était, de fait, attendue. Une présentation commerciale de l’Oleo100 auprès de
potentiels clients évoquait déjà, début 2021, la future vignette en indiquant « actions en cours
pour Crit’Air 1 et classification “véhicule propre” ».
Elle ne fait certes pas grand bruit mais certains s’en émeuvent. Le sénateur (Europe Écologie-
Les verts) Jacques Fernique s’est étonné de cette décision discrétionnaire, prise au profit d’un
seul produit. « Cette évolution réglementaire soudaine interpelle […] au sortir d’un premier
quinquennat marqué par la tenue de la convention citoyenne pour le climat et à l’orée d’un
second, placé, selon le président de la République, sous le signe d’une “méthode nouvelle”
associant l’ensemble des acteurs et dont l’écologie serait “la politique des politiques” », dit-
il dans une question adressée au Sénat le 14 juillet 2022.
Répondant à nos questions, le service communication d’Avril le reconnaît : « La demande de
classification Crit’Air 1 a été portée par les différentes associations professionnelles
représentatives des industriels producteurs de B100, des constructeurs et des transporteurs ».
On peut d’ailleurs relever sur le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie
publique (HATVP) que le groupe déclare avoir mené des actions de lobbying auprès de
décideurs sur le sujet.
Côté producteurs de B100, ces associations, précise-t-il, ce sont « Estérifrance, le syndicat
français des producteurs de biocarburants de type Ester méthylique d’acide gras [type dont
fait partie l’huile de colza – ndlr] », et « l’European Biodiesel Board, une association
européenne visant à promouvoir l’utilisation des biocarburants dans l’UE ». La filiale Saipol
d’Avril fait partie de l’une et de l’autre.


Usine Saipol de Grand-Couronne en Normandie qui produit du biogazole Diester. © Photo
Antoine Devouard / REA


Pourquoi une telle distinction ? Au regard de ce que dit la science, elle n’a pas lieu d’être.
« Dans un moteur, la combustion du B100 se traduit par plus de NOx [oxydes d’azote – ndlr]
qu’un carburant fossile, explique le chercheur Louis-Pierre Geffray, de l’institut Mobilités en
transition. Ces NOx supplémentaires sont normalement traités par le système antipollution du
véhicule, mais il n’y a aucune raison objective qui explique pourquoi, en usage réel, ce
biocarburant est classé Crit’Air 1, à la différence du HVO et du diesel qui sont restés
en Crit’Air 2. »


AirParif, qui observe la qualité de l’air en Île-de-France, est arrivé aux mêmes conclusions en
comparant les émissions du diesel et des carburants alternatifs.

Interrogé sur le sujet, le ministère des finances – auquel est maintenant rattachée la Direction
générale de l’énergie et du climat qui avait signé l’arrêté en question – indique que le B100
permet des réductions d’autres émissions. Et que si le HVO est exclu, c’est qu’il n’y a pas de
moteur permettant de s’assurer qu’« il ne sera utilisé que du carburant HVO ».
Ce traitement favorable au carburant issu de l’huile de colza n’est pas anecdotique. Il fait
partie du « business model » d’Avril, mastodonte présent dans dix-neuf pays, au chiffre d’affaires, en 2022, de 9 milliards d’euros. Depuis longtemps, le groupe développe une
stratégie d’influence auprès de la puissance publique comme auprès des gros acteurs du
secteur, afin de s’assurer une position hégémonique sur le marché.
Comme Mediapart l’avait écrit, une importante niche fiscale était déjà favorable, au cours des
années 2000 et 2010, à un produit du groupe Avril …

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