L’économie allemande prend l’eau
La crise énergétique, les tendances inflationnistes et les tensions internationales affaiblissent la robustesse d’un modèle industriel basé sur les exportations.
Le chancelier allemand Olaf Scholz (à gauche) à côté d’un barrage. où l’eau est pompée, à Oberroeblingen, dans l’est de l’Allemagne, alors qu’ils visitent une zone inondée le 4 janvier 2024.
Jan Woitas/Pool/AFP
L’économie allemande a basculé dans le rouge l’an dernier en raison du coût de l’énergie, des taux d’intérêt élevés et du ralentissement de la demande extérieure, qui affaiblissent sa puissance industrielle et ses exportations.
Le produit intérieur brut (PIB) de la première économie européenne a reculé de 0,3% en 2023, après une hausse de 1,8% en 2022, selon des données corrigées des variables de prix dévoilées lundi par l’Office national des statistiques Destatis. En données corrigées des variables de calendrier et de prix, le PIB annuel chute de 0,1%.
Ces résultats sont certes un peu meilleurs que les prévisions du gouvernement et du FMI, qui prévoyaient respectivement une contraction de l’économie allemande de 0,4% et de 0,5% pour 2023.
Mais le pays fait nettement moins bien que la moyenne de l’UE, qui devrait atteindre une croissance de 0,6% en 2023, selon les dernières prévisions de la Commission européenne, avec des hausses marquées pour la France, l’Espagne ou l’Italie.
La crise traversée par l’Allemagne, dont l’économie s’est contractée l’an dernier, alimente le débat sur son modèle industriel tourné vers les performances à l’exportation.
Cette obsession pour les excédents commerciaux, encouragée depuis plus d’un siècle par les dirigeants du pays, est fragilisée par l’évolution du commerce mondial, explique à l’AFP Jan-Otmar Hesse, chercheur en histoire économique à l’Université de Bayreuth.
Depuis quand l’Allemagne a-t-elle fait de ses succès à l’exportation un objectif national?
«Cette fierté se construit sur une très longue période. Elle existe déjà à la fin du XIXe siècle. Juste après la Seconde Guerre mondiale, les exportations ont été très fortement encouragées, avec des aides publiques. On disait que les excédents commerciaux étaient nécessaires pour importer ce que nous consommions, les denrées alimentaires, le coton et plus tard les produits industriels.»
«Il existe toujours un large consensus social sur ce sujet. Les États-Unis sont également performants à l’exportation mais les Américains consomment tellement qu’il n’y a pas d’excédent commercial (à cause des importations, ndlr). En Allemagne, ce serait difficile à concevoir.»
Il y a eu deux moments où l’Allemagne a été «championne du monde», exportant plus de biens que n’importe quel autre pays au monde, entre 1986 et 1988 et au début des années 2000. La seconde fois, l’Allemagne a profité fortement de l’introduction de l’euro.
Quel rôle jouent les gouvernements dans le développement de cette stratégie?
«A plusieurs périodes, il y a eu une convergence d’intérêts entre les entreprises qui veulent se développer à l’international et les politiques qui voient dans le soutien aux industries d’exportation un moyen de surmonter des crises.»
«À la fin des années 1970, l’Allemagne connaît deux années où la balance des paiements est négative. Le concurrent identifié est le Japon et la politique économique allemande tente alors de promouvoir fortement les exportations avec des aides financières et des crédits.»
«Dans les années 1970, la politique économique allemande a encouragé la délocalisation de la production des entreprises industrielles. On les aide à créer des sites de production à l’étranger, surtout dans l’industrie textile parce qu’on pense que cette industrie, qui exporte beaucoup, doit réduire ses coûts de production.»
Ce modèle exportateur a-t-il de l’avenir?
«Si la demande internationale baisse, alors l’économie allemande est bien sûr plus vite en récession que d’autres pays qui ne sont pas aussi fortement liés à l’international. C’est ce qui se passe en ce moment. Le plus gros problème pour l’industrie allemande en ce moment est la Chine (premier partenaire commercial, ndlr). L’avenir du modèle de croissance allemand dépendra de sa capacité à éliminer les risques géopolitiques tout en continuant à profiter de la division internationale du travail.»
«L’Allemagne se trouve un peu à un tournant de son intégration dans l’économie mondiale. Cela pourrait aboutir à ce que l’économie allemande «s’européanise» davantage ou bien cherche d’autres parties du monde, par exemple en Asie, pour délocaliser des sites de production.«
«Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une crise profonde, que le modèle ait échoué. Mais il serait judicieux pour les entreprises d’investir davantage en Allemagne, pour former la main-d’œuvre, avoir de bonnes universités, une bonne infrastructure. Car ces dernières années, les excédents commerciaux ne sont pas revenus en Allemagne, ils ont été investis à l’étranger.»
La troisième économie mondiale est également à la traîne des autres grands pays industriels, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.
La fin d’année a été encore moins bonne que les trimestres précédents avec un PIB estimé en recul de 0,3% entre septembre et décembre, selon une estimation préliminaire de Destatis.
Année «turbulente»
Attendue, cette récession n’en reste pas moins une mauvaise nouvelle pour le gouvernement d’Olaf Scholz déjà aux prises avec une impopularité record et une multiplication des revendications sociales.
«L’année 2023 a été turbulente, avec une économie en mode de crise permanent», commente Carsten Brzeski, analyste pour la banque ING.
L’économie allemande est plombée par la crise de son puissant secteur industriel, qui représente environ 20% de la richesse produite dans le pays. La production reste inférieure de plus de 9% à son niveau d’avant la pandémie de Covid-19.
Le secteur a été ralenti par une demande intérieure atone, en raison de l’inflation -qui a atteint 5,9% en 2023- et des hausses de taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE). Selon Destatis, la consommation privée a reculé de 0,8% sur un an. Le bâtiment en a particulièrement souffert, avec un recul de 2,1% des investissements.
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